La cimenterie de Port-Daniel constitue le projet le plus polluant en construction au Québec. Elle pourrait émettre jusqu’à 1,76 million de tonnes de gaz à effet de serre chaque année, ajoutant ainsi 10 % au total des émissions de GES du secteur industriel québécois.
Certes, la combustion du charbon et la cuisson de la pierre calcaire génèrent, dans toute cimenterie, du dioxyde de carbone. Dans le cas de la cimenterie de Port Daniel, on doit souligner les conséquences de l’utilisation du coke de pétrole comme combustible. Il s’agit d’un «déchet de raffinerie» généré lors de la production de pétrole issu des sables bitumineux. Si elle ouvre ses portes, la cimenterie de Port-Daniel ingérera 175 000 tonnes de coke de pétrole par année.
Le coke de pétrole, un dérivé des sables bitumineux
Lors du raffinage du bitume dilué (dilbit), on extrait les fractions les plus légères en haut de la colonne de distillation, tandis que la fraction la plus lourde, le bitume, l’asphalte, se retrouve dans le bas de la cuve. L’abondance sur le marché de pétrole dilué (dilbit) en provenance des sables bitumineux a généré davantage de ce résidu lourd; l’industrie a développé la cokéfaction afin de traiter le pétrole de l’Alberta de manière plus rentable.
L’opération consiste à maintenir la fraction lourde à une température de 500 °C pendant assez longtemps pour en extraire toutes les molécules légères. On se retrouve alors avec une sorte de charbon très dur, mais plus concentré en carbone que le charbon traditionnel, le coke de pétrole. Environ 15% d’un baril de bitume deviendra du coke de pétrole.
Le coke de pétrole, un déchet industriel dangereux
Les raffineurs ont construit des unités de cokéfaction pour pouvoir transformer le pétrole bitumineux. Grâce au développement des technologies d’utilisation du coke de pétrole, comme substitut de charbon, les raffineries américaines deviennent des usines de production de charbon et stimulent ainsi la production des sables bitumineux de l’Alberta.
À titre d’exemple, la raffinerie Marathon Petroleum, à Détroit, a investi 2,2 milliards depuis 2008 pour raffiner le pétrole bitumineux de l’Alberta. Cet investissement aura permis non seulement de raffiner 13 000 barils de plus par jour, mais de transformer 28 000 barils de pétrole lourd en carburant et en coke de pétrole. Près de ces raffineries, le coke de pétrole s’accumule quelquefois en immenses tas à ciel ouvert. Le vent balaie le tas et soulève des poussières hautement toxiques pour le système respiratoire des mammifères du voisinage, humains et autres. Cette problématique a suscité une controverse dans les quartiers avoisinants la raffinerie de Détroit en août 2013.
À l’heure actuelle, 56 des 115 raffineries présentes aux États-Unis disposent d’une unité de cokéfaction, pour une capacité de 2,5 million de barils par jour. Suncor, à Montréal, entend également bâtir une usine de cokéfaction, plan qui s’inscrit dans le contexte de l’inversion de la ligne 9B d’Enbridge. Capable de traiter jusqu’à 40 000 barils par jour de brut de l’Ouest, elle permettra éventuellement d’alimenter le marché québécois avec le coke de pétrole dérivé des sables bitumineux de l’Alberta. Dans cette éventualité, selon nos calculs, la cimenterie consommerait l’équivalent de 50% du coke de pétrole produit par Suncor à Montréal.
La cimenterie de Port-Daniel, complice de la dévastation albertaine
La cimenterie de Ciment McInnis, construite pour brûler du coke de pétrole alors que les cimenteries carburent généralement au charbon, apparaît dans ce contexte comme le dernier maillon de la production des sables bitumineux de l’Alberta. Christian Gagnon, ancien PDG de Ciment McInnis, omettait une partie de la vérité lorsqu’il affirmait que «le coke de pétrole qui serait utilisé dans les chambres de combustion de la cimenterie ne proviendrait pas des sables bitumineux de l’Alberta, mais il serait plutôt acheminé par bateau depuis des raffineries de l’Atlantique en mesure de fournir la matière». La plupart des usines de cokéfaction se concentrent le long de la côte du Golfe du Mexique, et elles produisent leur coke de pétrole à partir du bitume de l’Alberta.
Une analyse inadéquate des rejets de métaux lourds
Le coke concentre les contaminants présents dans le brut à partir duquel on l’a fait, majoritairement du soufre et des métaux lourds (nickel, vanadium…). L’étude d’impact de Genivar, stipule que « les différents métaux présents dans les matières premières (calcaires et additifs) et dans le combustible utilisé (coke) sont susceptibles d’être rejetés à l’atmosphère » et “que des normes de rejets existent pour ces substances.” Et encore, les “teneurs considérées pour chacun des métaux et métalloïdes sont présentées au tableau 8″ de l’annexe F-1 de l’étude. Or, le tableau 8 ne rapporte que les concentrations de métaux et de métalloïdes retrouvés dans les échantillons de calcaire.
L’étude de Genivar ne fournit aucune donnée sur les concentrations en métaux lourds dans le coke de pétrole, et ne tient pas compte de la nature du combustible dans sa modélisation des rejets de métaux lourds dans l’atmosphère. La firme utilise plutôt les moyennes fournies par l’agence de protection de l’environnement américaine, moyennes établies au début des années 1990, alors qu’aucune cimenterie ne s’alimentait en coke de pétrole. Le tableau 11 de l’annexe F-1 liste donc les émissions des divers contaminants via la cheminée sans faire état du nickel et du vanadium, qui vont se retrouver dans l’atmosphère puisqu’on les considère très concentrés dans le coke! (Nous avons extrapolé les données sur une base annuelle pour fournir une meilleure idée.)
Le plus gros pollueur au Québec
Advenant son ouverture, la cimenterie de Port Daniel générera le plus de gaz à effet de serre de toutes les usines au Québec. Cela souligne le manque de cohérence entre la volonté énoncée de diminuer les émissions de gaz à effet de serre et l’entêtement du gouvernement libéral à financer ces projets industriels. On ne peut toutefois pas considérer les émissions de la cimenterie de manière isolée. Dans le calcul, il faut également tenir compte de l’effet cumulatif sur la production de pétrole albertain. En créant des infrastructures capables d’ingérer ce «carburant», on cautionne l’expansion du fléau bitumineux, et l’émission de gaz à effet de serre générés lors de la production dans le nord de l’Alberta.
À consulter :
Radio-Canada (2014) Gaz à effet de serre : la carte des émissions industrielles au Québec
Genivar inc (2013) Étude de répercussions sur l’environnement, Rapport principal, Volume 1 et Volume 2, annexe F-1
Oil Change International (2013) Petroleum coke, The coal hiding in the tar sands