Lettre ouverte à Carlos Leitao, ministre des finances du Québec (cliquez ici pour la télécharger en format .pdf)
Objet : compensation des partenaires du gouvernement du Québec dans Hydrocarbure Anticosti
M. Leitao,
Le 5 avril dernier, Pétrolia annonçait, par voie de communiqué, la tenue de négociations avec le gouvernement du Québec. La compagnie veut une compensation pour mettre un terme aux forages sur l’île qui pourrait bientôt apparaître sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Vous avez affirmé que l’État québécois disposait des marges de manoeuvre nécessaires pour verser une compensation dans un délai assez bref.
Auriez-vous osé affirmer avec autant d’aplomb que vous avez une aussi bonne marge de manoeuvre budgétaire lors de négociations avec le secteur public? Allez-vous agir avec la même complaisance avec les dirigeants de Pétrolia qu’avec ceux de Bombardier? Avant d’aller de l’avant avec une compensation monétaire, nous vous demandons une rencontre afin de discuter en détail de ce qui suit.
Nous croyons que le versement d’une somme considérable à Pétrolia pourrait servir à financer ses prochains forages en Gaspésie. Déjà à Bourque, la compagnie a bénéficié d’une aide de 12,3M$ de Ressources Québec pour aller de l’avant, faute d’investisseurs privés. (Pas étonnant puisque depuis 2 ans, 120 juniors nord-américaines de la production ont fait faillite en raison du faible prix du pétrole.) Ressources Québec finance les projets d’exploration à hauteur de 60%, toute aide gouvernementale comprise. Est-ce que la compensation pour Anticosti va compter pour de l’aide gouvernementale? Sûrement pas, puisqu’il s’agirait d’un rachat de permis et non pas d’une aide à proprement parler. Le gouvernement libéral va-t-il financer à 100% les prochains forages en Gaspésie à l’aide de fonds publics, alors que votre chef affirme que “l’avenir du Québec ne repose pas dans les hydrocarbures. Absolument pas !”
Pourquoi se presser pour compenser Pétrolia à grand frais, alors que les forages pourraient se faire bloquer par les processus d’autorisation environnementale? Environnement Canada n’a toujours pas émis d’autorisation pour le rejet des eaux de fracturation dans le Golfe du Saint-Laurent. Si le procédé de traitement du jus de frack n’est pas adéquat pour éliminer les centaines de contaminants qu’il contient, (dont plusieurs hautement toxiques), le ministère fédéral ne délivrera pas les autorisations, et les permis perdront toute valeur.
Par ailleurs, un processus judiciaire compromet aussi la valeur des permis d’Anticosti. La cour supérieure entendait, du 10 au 13 avril, la requête en injonction permanente des Innus de Mingan qui veulent empêcher la tenue des forages. Si la cour supérieure délivre l’injonction, aucun forage ne pourra avoir lieu sur l’Île, et les permis perdront, de cette manière, toute valeur. Pourquoi ne pas attendre, minimalement, que le juge rende son verdict avant de conclure une entente avec Pétrolia?
Enfin, diverses études démontrent que le gaz naturel et le pétrole extraits par fracturation ont un potentiel pour réchauffer le climat plus important que le charbon (voir la figure ci-bas). En effet, immédiatement après la fracturation, une part significative du méthane contenu dans le réservoir se libère dans l’atmosphère avec le retour du liquide injecté. Ce méthane a un pouvoir de réchauffement environ 100 fois supérieur au CO2 sur un horizon de 20 ans. L’extraction de méthane et de pétrole de schiste au Québec empêchera nécessairement d’atteindre les objectifs québécois de diminution des gaz à effet de serre. Pourquoi ne pas adopter une législation environnementale qui soumettra tout projet industriel à un test climatique, ce qui empêcherait la fracturation au Québec?
Si vous tenez absolument à donner de l’argent aux actionnaires de Pétrolia, vous pourriez racheter l’ensemble des actions de la compagnie, dont la valeur en bourse se chiffre à 16,5M$. Vous pourriez par la suite dissoudre la compagnie et régler du même coup le problème de la Gaspésie aux prises avec une entreprise qui n’a pas su respecter une population qui voulait légitimement protéger son eau potable.
Enfin, nous voulons connaître les termes du contrat liant Pétrolia au gouvernement qui nous obligeraient collectivement à payer une telle indemnisation quand tant de secteurs économiques et sociaux sont dans le besoin. Vous devez rendre publique l’entente conclue entre le gouvernement Marois et Pétrolia pour fonder Hydrocarbures Anticosti, pour que nous sachions si le gouvernement peut justifier cette compensation en vertu de ses obligations contractuelles. D’ailleurs, Pétrolia a déjà donné son accord à la divulgation de l’entente.
La nomination de Me Daniel Picotte comme négociateur dans ce dossier nous laisse d’ailleurs perplexe. “C’est lui qui a négocié l’entente initiale sur Anticosti au nom de l’État québécois en 2014, face à Lucien Bouchard, qui représentait Pétrolia à l’époque.” Philippe Couillard a pourtant décrié l’entente initiale qui obligeait Québec à payer pour Anticosti, malgré le retrait d’autres partenaires. Me Picotte a aussi négocié l’entente en vertu de laquelle Investissement Québec a versé 1G$ à la C-series de Bombardier, sans adosser son investissement à aucun autre actif, ce qu’avait vivement critiqué l’opposition.
Vous disposez de divers moyens pour en finir avec les permis de forage à Anticosti. Nous réitérons ici notre demande de vous rencontrer, à l’instar de la direction de Pétrolia qui a déjà bénéficié d’une rencontre avec le chef de votre gouvernement. Après tout, nous suivons de près l’industrie des hydrocarbures au Québec (depuis la vente à rabais des permis d’exploration sous Nathalie Normandeau) et nous cumulons, ensemble, plusieurs décennies de réflexion sur la question. Nous pourrions élaborer conjointement différents scénarios moins coûteux pour l’État québécois, et plus cohérents avec l’ensemble des enjeux auxquels notre société doit faire face.
Humblement,
Pascal Bergeron, Environnement Vert Plus, Carleton-sur-mer
Alyssa Symons-Bélanger, Collectif le Récif, Trois-Pistoles
Marc Brullemans, membre biophysicien du collectif scientifique sur la question des gaz de schiste
Manon Massé, député et porte-parole, Québec Solidaire
Organisations appuyant la démarche en date du 23 avril 2017
Prospérité sans pétrole, Rimouski
Comité de Citoyens de Durham-Sud
Coordination interrégionale « Nord » du Regroupement Vigilance Hydrocarbures Québec
NON à une marée noire dans le Saint-Laurent
Comité citoyen sur les gaz de schiste de Victoriaville
Comité vigilance hydrocarbures (CVH) Brandon
Action environnement basses Laurentides
Comité vigilance hydrocarbures de Lavaltrie
Tache d’huile, Gaspésie
Pétroliques anonymes
Comité vigilance hydrocarbures de la MRC de Lotbinière
Comité Saint-Antoine-de-Tilly – Milieu de vie
Citoyens au Courant (Vaudrueil-Soulanges)
Comité vigilance hydrocarbures de L’Assomption
Stop oléoduc capitale nationale
Comité de vigilance gaz de schiste de Roxton Falls
Marche des Peuples pour la Terre-Mère
STOP oléoduc Montmagny-L’Islet
Comité vigilance hydrocarbure St-Léonard-d’Aston
GROUVIDHAM: Groupe Vigilance d’Ham, Centre du Québec
Les Temps d’Arts Populaires, Estrie